Nathan KATZ

Nathan KATZ



Nathan Katz est le poète alsacien le moins connu (en dehors de sa région), mais l’un des plus talentueux, des plus attachants, cristallisant quasiment dans sa vie comme dans son œuvre à lui seul tous les drames auxquels est confrontée l’Alsace-Moselle : trois guerres, quatre changements de nationalité en 74 ans, avec à chaque fois, tour à tour, une germanisation, puis une francisation à outrance, des expulsions brutales, des milliers de morts, des embrigadements forcés, qui conduisent au « malaise Alsacien », expression utilisée en 1919 pour évoquer l’imbrication inextricable de questions linguistiques, scolaires, sociales et religieuses qui compliquent la réintégration de l’Alsace dans la République française dont elle a été coupée pendant 47 ans.

Nathan Katz est né le 24 décembre 1892, à Waldighoffen, dans cette région de l’extrême Sud de l’Alsace (alors l’Empire Allemand) qu’on appelle le Sundgau (sa terre natale, la Heimet : « Terre d’Alsace, pays de Sundgau ! Beau pré vert dans lequel on peut s’allonger comme un bienheureux, tout au cœur des fleurs ») et où l’on parle une forme particulière du dialecte alsacien : le haut-alémanique. Nathan Katz n’est-il qu’un poète Sundgauvien dialectophone ? Une curiosité locale ? Que nenni ! Voilà en quels termes les éditions Arfuyen présentent le poète du Sundgau : « Considéré comme l’écrivain alsacien le plus important de notre temps, admiré des spécialistes comme du grand public, Nathan Katz est l’une des plus belles figures d’humanisme de la poésie française de ce siècle. Nul mieux que le vieux sage de Waldighoffen ne sait nous parler de la nature, de la vie et du mystère des choses. À la manière d’un Prévert ou d’un Guillevic, il a l’art de s’adresser à tous et notamment aux enfants.

Il ne s’agit donc pas ici de présenter un écrivain « régional » et encore moins « régionaliste ». Il s’agit de faire découvrir un poète universel, nourri des classiques chinois comme de Goethe et Shakespeare, des tragiques grecs comme de Hafiz et Tagore. Il s’agit de révéler la figure d’un « juste », marqué par la Grande Guerre et sa captivité en Russie, pacifiste convaincu et admirateur de Rosa Luxembourg… » Comment désigne-t-on la Haimet en français ?, interroge Victor Hell, avant de répondre : « L’homme doit  s’enraciner, nous dit-on. Mais il n’est pas rivé au sol, c’est un arbre qui bouge, ses racines il les porte au plus profond de lui-même. La vie et l’œuvre de Nathan Katz témoignent discrètement de la double fonction existentielle et poétique de la Haimet » : Tu es l’âme de ma Haimet, ma belle ! - Tu es toute la beauté de ma Haimet !

De fait, Katz eut pour amis et admirateurs Jean-Paul de Dadelsen et Eugène Guillevic, mais aussi Maxime Alexandre, Claude Vigée, tous les poètes alsaciens et parmi les meilleurs qui devaient suivre : Jean-Claude Walter, Jean-Paul Klée, Gérard Pfister…. Katz fait l’unanimité ! Allons-y voir à présent du côté de son parcours. Sa poésie est vouée au monde paysan, mais Nathan Katz est issu du milieu commerçant. Sa famille, de confession juive, tient une boucherie casher (côté paternel) et un commerce de textiles à Blotzheim (côté maternel). À Waldighoffen, Nathan Katz fréquente l’école unique du village où l’enseignement, l’Alsace étant annexée, se fait exclusivement en allemand. Sa mère lui apprend les premières bribes de français, qu’il compléte plus tard lui-même. Il apprend aussi l’anglais pour lire Shakespeare, Byron, Tennyson, Kipling, Robert Burns, Edgar Poe et les traduire en alémanique.

À quinze ans, il entre comme apprenti de bureau à l’usine de tissage et de filature des Frères Lang, à Waldighoffen, tout en poursuivant sa formation littéraire. La boucherie familiale lui donne accès à la littérature contemporaine, grâce à un chiffonnier qui livre à Bâle et en revient avec une cargaison de journaux. C’est un autre type de boucherie qui attend Katz, incorporé pour son service actif sous l’uniforme allemand à partir de septembre 1913, un an avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le 20 août 1914, près de Sarrebourg, il a le bras droit brisé par une balle. Il est opéré et hospitalisé à Tübingen puis, envoyé en convalescence à Fribourg. Dès janvier 1915 il rejoint le 150e Régiment d’infanterie à Allenstein, en Prusse Orientale, puis, en mars 1915, le front russe. En juin 1915, il est fait prisonnier à Ostrolenka et interné aux camps de Sergatsch et de Nijni-Novgorod jusqu’en août 1916. Il y écrit son premier livre La petite chambre qui donnait sur la potence, témoignage d’un soldat prisonnier de guerre. Le 26 août 1916, il est rapatrié en France où, de septembre 1916 à janvier 1918, il passe seize mois dans le camp de prisonniers de guerre de Saint-Rambert-sur-Loire. Au printemps de 1918, après un séjour à l’hôpital militaire de Saint-Étienne, il est évacué au « Dépôt d’Alsaciens-Lorrains de Lourdes ».

Pendant ce temps, la Révolution alsacienne de 1918 éclate à Strasbourg. En septembre 1919, Katz est de retour à Waldighoffen, où il travaille à la boucherie familiale. En 1923, il devient voyageur de commerce dans l’industrie métallurgique, puis, de 1926 à 1931, pour les machines textiles. Pendant ces années, Katz voyage en France, Allemagne, Autriche, Tchécoslovaquie, Hollande. Il ne revient qu’épisodiquement au Sundgau, alors que paraissent ses livres : la pièce de théâtre Annele Saithasar (1924) et les poèmes en haut-alémanique : D’Ardwibele. E Spiel üs ‘m Sundgäu (1930), Die Stunde des Wunders, Alsatia (1930), Sundgäu. Gedichte, Alsatia (1930). La crise économique contraint Katz pour quelque temps au chômage. Le poète et peintre Henri Solveen, le présente alors à l’industriel strasbourgeois Adolphe Ancel, qui l’engage comme inspecteur-voyageur (commercial). Et les déplacements recommencent, surtout vers le Midi de la France et l’Afrique du Nord. C’est dans le train où à l’hôtel, sur une table de bistrot, qu’il écrit alors la plupart de ses poèmes sundgoviens, tout en lisant et relisant les trois livres qui l’accompagnent partout : la Vie de Bouddha, le Faust de Goethe, la Vie de Jésus de Renan. En ces années d’entre les deux guerres, en Alsace, Katz fréquente les poètes du Cercle d’Altkirch (Maxime Alexandre, Jean-Paul de Dadelsen, Eugène Guillevic, Frédéric Hoffet, André Jacquemin, Robert Breitwieser, Arthur Schachenmann…)

La Deuxième Guerre mondiale le surprend à Périgueux. Mobilisé en septembre 1939, il passe la « drôle de guerre » en Afrique du Nord. Le 22 novembre 1939, il est « rayé des contrôles » et se retire à Constantine. Définitivement « renvoyé dans ses foyers » le 25 juillet 1940, Katz revient à Limoges où son usine strasbourgeoise a été évacuée. Mais les lois anti-juives de Vichy le font congédier des Établissements Ancel, en janvier 1942. Sans occupation salariée du 1er janvier 1942 au 31 janvier 1946, Katz survit grâce à une maigre allocation de réfugié. À Limoges, il fait néanmoins la connaissance du poète Georges-Emmanuel Clancier, qui témoigne : « Dans les années trente du siècle dernier, j’avais plaisir à voir, une ou deux ou fois l’an, venir en Limousin le-voyageur-de-la-levure-Ancel… Ce voyageur de commerce se nommait Nathan Katz. C’était un quadragénaire assez grand et maigre. Son allure dégingandée, son élocution un peu hésitante, la douceur de son sourire et je ne sais quelle expression de rêveuse bonté éparse entre sa voix et son regard lui donnaient, à mes yeux, semblance d’un Pierrot lunaire en costume de ville. Mon père et lui étaient en sympathie vive et profonde qu’on eût pu même appeler amitié, si l’un et l’autre n’avaient pas été hommes de silence pudique. »

Katz a aussi l’occasion de rencontrer en 1942 Paul Valéry : « Alors qu’il faisait une conférence, on entendit soudain de la rue monter le rythme des cuivres et des fifres d’un détachement allemand en parade. Valéry s’arrêta de parler, attendit que le martèlement des bottes s’estompât et dit : « Je rends hommage à un grand Français : Henri Bergson. » Rapatrié en Alsace, Nathan Katz exerce à partir du 1er février 1946 et jusqu’à sa retraite en 1958, les fonctions de bibliothécaire, à Mulhouse. En 1972, un hommage solennel lui est rendu pour son 80e anniversaire. Nathan Katz a ces mots qui le montrent tout entier : « J’ai tenté de faire œuvre d’homme. Au-dessus des frontières et des clans. Par-delà le fleuve Rhin. J’ai chanté les paysages, l’eau, les jours et la femme. En paix et en joie. C’est tout. »

Nathan Katz meurt à Mulhouse le 12 janvier 1981, à l’âge de 89 ans. « Il y a de la sève dans sa poésie… Katz a derrière lui, écrit Jean-Paul de Dadelsen, de longues générations de paysans qui ont labouré, qui ont semé et qui ont fait l’amour dans les chaudes alcôves au parfum dense et vieux. De là cette poésie profonde, mûrie et comme juteuse, qui fait penser à un fruit plutôt qu'à une couleur ou à une mélodie… Cette poésie est vaste comme l’amour, grave comme une religion… »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Œuvres : Comme si nous pouvions connaitre l’éternité, Choix de poèmes traduits de l’alémanique (Éd. du Nadir, 1987), Sundgäu, choix de poèmes, traduits de l’alémanique (Arfuyen, 1987), Œuvre poétique I, bilingue alémanique-français (Arfuyen, 2001. Rééd. 2021), Œuvre poétique II, bilingue alémanique-français (Arfuyen, 2003. Rééd. 2021), Annele Balthasar, théâtre, bilingue alémanique-français (Arfuyen, 2018), La petite chambre qui donnait sur la potence, témoignage d’un soldat prisonnier de guerre en Russie de juin 1915 à août 1916, traduit de l’allemand (Arfuyen, 2020).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Richard ROGNET & les poètes de l'Est n° 55