Mikis THEODORAKIS

Mikis THEODORAKIS



Né le 29 juillet 1925 sur l’île de Chios, Mikis Théodorakis est une personnalité marquante du XXe siècle. Compositeur, il a ouvert une voie nouvelle en parvenant à réconcilier sa formation symphonique occidentale et la tradition musicale de la Grèce. Il a composé plus de mille mélodies (lieder, chansons), dont un certain nombre de cycles (Epitaphios, Mauthausen, Mythologie, Dionysos, Phaedra, Mia Thalassa…), parfois pour des chanteurs spécifiques. Il a composé de nombreuses œuvres pour des films (Électre, Zorba le Grec, Z, Serpico…) ou des ballets (Les Amants de Téruel, Antigone…), des cantates et des oratorios (Axion Esti, Epiphania Averoff, État de Siège, Canto General, Canto Olympico…), des concertos et des opéras (Medea, Electra, Antigone…), de la musique symphonique (sept symphonies, quatre rhapsodies et deux concertos), de la musique de chambre (une vingtaine d’œuvres), et a mis en musique les plus grands poètes, notamment Elytis, Neruda, Ritsos ou Lorca.

Résistant, il a combattu l’Occupation allemande comme la junte des colonels, et ses engagements lui ont valu la prison, la torture, l’exil. Patriote, il rêve d’une Grèce dont le rayonnement n’aurait pas faibli depuis deux mille ans, et tout dans son parcours tend à rappeler les valeurs fondamentales que sont la liberté, la démocratie et la culture.

Face à la crise qui ravage en 2015 son pays, Mikis Theodorakis écrit : « La démocratie est née à Athènes quand Solon a annulé les dettes des pauvres envers les riches. Il ne faut pas autoriser aujourd’hui les banques à détruire la démocratie européenne, à extorquer les sommes gigantesques qu’elles ont elles-mêmes générées sous forme de dettes. De quelle sorte de gouvernements, de quelle sorte de politiciens disposons-nous en Europe ? Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et Aristote, Périclès et Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur, parce que nous avons subi en tant que pays l’une des pires catastrophes européennes dans les années 1940 et nous avons lutté de façon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent. Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. »

Mikis Theodorakis est décédé à Athènes le 2 septembre 2021, à l'âge de 97 ans.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules)


A lire (en français) : Journal de Résistance (Flammarion, 1971), Culture et dimensions politiques (Flammarion, 1972), Les Fiancés de Pénélope. Entretiens avec Denis Bourgeois. Préface de François Mitterrand, (Grasset, 1976), Les Chemins de l'Archange (Belfond, 1989), Staline, Debussy et Dionysos, Les Chemins de l'Archange, Tome 2, (Belfond, 1990), Poèmes (Éditions Phi, 2001), Yorgos Archimandritis : Mikis Théodorakis par lui-même (Actes Sud, 2011).

AU POÈTE INCONNU


Rigas Feraios je t’invoque !


De l’Australie au Canada
De l’Allemagne jusqu’au Tachkent
Dans les prisons les îles ou les montagnes
Les Grecs vivent dans la dispersion.


Dionysos Solomos je t’invoque !


Détenus et geôliers
Tortionnaires et torturés
Oppresseurs et opprimés
Terroristes et terrorisés
Possédants et possédés
Les Grecs vivent dans la division.


Andréas Kalvos je t’invoque !

Le soleil le plus vif est incrédule
Incrédules sont les monts et les sapins
Les rivages et les rossignols.
Berceau de la Beauté, de la Mesure, ô ma patrie !
Aujourd’hui elle est un lieu de mort.


Kostis Palamas je t’invoque !


Jamais on ne vit tant de lumière se changer en ténèbres
Tant de vaillance en épouvante
Tant de force en faiblesse
Et tant de héros en bustes de marbre.
Patrie de Dighenis et de Diacos, ô ma patrie !
Mais aujourd’hui pays d’esclaves.


Nikos Katzantzakis je t’invoque !


Mais si les mortels semblent oublier
Où se parle encore la langue d’Androutsos
La mémoire loge derrière les chaînes et les repaires
La mémoire habite dans les pierres
Et fait son nid dans les feuilles mortes
Qui recouvrent ton corps, ô Grèce.


Angelos Sikelianos je t’invoque !


Toi l’âme même de ma patrie
Ô fleuve multiforme
Aveugle à force de sang
Sourd de mugissement
Malade de la grande haine
Et malade du grand amour
Qui se disputent ton âme en partage.
L’âme de ma patrie
La voici : deux menottes
Qui se referment sur deux fleuves
Et sur deux montagnes
Et qu’on a liées avec des cordes

Sur le banc de la terrasse.

La plaine d’Argolide
Qui se gonfle sous le fouet
Et l’Olympe qu’on fait pendre
Les coudes liés derrière le dos.
Au grand mât du porte-avions
Pour le faire avouer.
L’âme de ma patrie
C’est cette semence qui a poussé racine
Au coeur même du rocher
À toi seule tu es mère, femme, et jeune fille
Tu domines les flots et les monts
Et tu teintes secrètement de sang
Les oeufs rouges de la Résurrection
Que couvent les siècles et les hommes.
Ô que vienne dans mon malheureux pays
La vraie Pâque de tous les Grecs !


Poète inconnu je t’invoque !

Mikis THEODORAKIS

(Revue Les Hommes sans Epaules n°40, 2015).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Jacques LACARRIERE & les poètes grecs contemporains n° 40