Marcel CHINONIS

Marcel CHINONIS



Marcel Chinonis, né le 3 juillet 1946, est le poète d’Aguessac où il fonde en 1987 les éditions Clapàs et la revue L’Oreillette, poursuivant à sa manière l’aventure éditoriale de ses aînés rouergats. Il n’a pas publié en vain : Des pas sans poussière : ou la fabuleuse aventure des Prix Antonin Artaud et Ilarie Voronca et de ceux qui en furent les maîtres d’œuvres : les dix premières années (Clapàs, 1995).

Marcel est l’auteur, notamment, de Causses toujours tu m’intéresses (1985), Les voix de la littérature et de la poêtique en Millavois (1990), L’amour n’a qu’un seul visage (1992), Spicilège (1993), Hélioskamor, poèmes naguassols (1997) ou Le troupeau (Les ami(e)s à voix, 2023) : « Les bâtiments, sous les ombres noires et galopantes des nuages, ressemblaient à de gros insectes qui se seraient posés là, dans l’attente d’on ne sait quel envol, d’on ne sait quel signal. Masses sombres dans le noir grisonnant de la nuit encore épaisse, aplatis sur le sol que l’on voyait à peine tant les cieux avaient d’importance, on les devinait assez basses, assez longues et comme étalinguées à l'environnement d’autres masses. Oui, du bord de la visibilité, il fallait savoir, pour deviner que ce n’était pas du minéral naturel qui faisait ainsi ces découpes étranges dans l’ozone de cette nuit finissante. Être d’ici ! »

Le clapàs, cher à Marcel, c’est en Rouergue, cet amoncellement de pierre que l’on trouve en bordure de champ, cet éclat de roche qui provient de l’épierrement de la terre. En certains endroits du Causse, ces clapàs peuvent être gigantesques et forment des chemins de pierres ou des murs clapàs qui dominent le paysage.

Du haut de ses clapàs, Marcel Chinonis déploie, parallèlement à ses propres écrits, une importante activité éditoriale, qui ressemble à l’homme, tellement fin, attachant, fraternel et solidaire qu’il est : Nous voudrions parvenir ! Nous sommes « parvenus » ! Langues luisantes où l’on se traine « à soif », le ciel reste mystique et nu sous la morsure calvaire des mots. Il importe cependant que la Poésie soit avant tout un Acte conséquent, un pur jet du cœur vers ce qui nous semble être, pour l’âme, un justificatif du Divin. ».

Marcel mène son œuvre-vie à tambour-battant, sans se ménager. Le 5 aout 2002, notre ami à tous les deux, le poète Jacques Taurand attend Marcel dans un restaurant aveyronnais pour déjeuner. Marcel est très en retard. Il ne viendra pas. Il est mort dans sa voiture sur le bord de la route. Le moteur de son cœur vient de le lâcher. « Sans un bruit, seul dans le soleil, il s’en allait. Il a écrit, publié, édité, défriché, transmis et ouvert la voie, l’illuminant parfois, comme le font seuls les vrais passeurs de passion. Un jour il m’écrivit : L’invisible ne se voit que dans ce centre merveilleux de l’œil-univers », témoigne la poète Adeline Baldacchino.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 

 

BEL-AIR DU LARZAC

 

Par les buis éventés

que travaille la bruine

passent les sons des sonnailles

 qui s'écrasent tendrement

 sur les murs de Bel-Air.

 

Dévalant de l'adret

où chassent des rapaces

les sabots des brebis

 gourmandent sourdement

 les ray-grass de la plaine.

 

Sur le berger se déchire

 le vent des passions humides

 de la terre et des cieux.

 

Le léchant du regard,

 un chien noir, silencieux,

 se tient, droit et superbe.

 

Opaline accrochée aux branches

des chênes séculaires,

 une capeline blanche

 se dissout sur la ferme

 où dorment les rosiers.

 

Des gouttes de rosée parlent,

 en brillant,

 de la journée à venir

 et du faucon qui niche

 là-bas sur la falaise

 que poursuit un chemin

 avide de descendre.

 

La ferme accroupie

 et qui sommeille encore

 entend, venant du bas,

 les paroles des bruits

 qui crochent dans la falaise

 comme autant de racines buissonnières

 qui s'écoutent mourir

 sur les versants qui tombent.

 

Des paroles s'écrasent,

 tous les jours,

 sur les berges du Ta

 et, des gorges des causses,

 se suicide

 le silence des plateaux.

 

L'oeil, partout,

 quand il n'est pas matin,

 gouverne l'horizon

 et la beauté du monde

 car,

 c'est là que finit

 la pénitence aride du Midi.

 

 On devine des sentes

 qui s'appliquent avec calme

 à coller la roche.

 Dans le jour qui croît,

 des formes se dessinent

 et appellent à un nom.

 

Gardienne vigilante de la pente qui tombe,

 La forêt se garde de ne point trop parler d'elle.

 Ouvrant ses mains, la vallée accueille

 les bruits du siècle qui cassent

 les silences bienheureux des fermes qui travaillent.

 

Au dehors,

 un vieux tracteur rouge est assis

 sous les murs de Bel-Air

 et attend

 qu'on s'occupe de lui.

 À ses pneus des herbes craquent

 sous la pression délicate des muscaris

 qui percent la pelouse  fraîchement allongée.

 

Un silence grince

 sur un volet qui dort

 profondément étreint

 par les pierres du mur

 qui pensent tendrement

 aux mains qui les caressent

 quand les touristes passent.

 

Sa présence ici symbole de la mémoire

 des champs qui se souviennent

 des hommes, cassés en deux,

 sur leurs pierrailles grises.

 

Dans les eaux des citernes,

 plus aucun seau qui trempe

 où mirer les reflets

 des visages amis.

 N'est-il pas mieux ainsi?

 

Que la toiture siffle

 le vent dans ses ardoises

 et accroche les années

 sur la pierre qui tremble;

 s'effritent, sous la poussée des doigts,

 les souvenirs inscrits

 dans les paroles gravées

 des roches tendres.

 

Pourtant

 lorsque la pluie caresse

 ou fouette la maison,

 les vitres ne tremblent pas

 à l'outrage des ans.

 

Résonne et musique

 la goutte qui s'écrase

 pour voir à l'intérieur

 la cheminée qui flambe

 devant les jambes vieilles

 des serviteurs noircis.

 

Aucun son ne perce les murailles matinales

 si ce n'est

 venant des buis ventés,

 le son clair des semailles

 par le vent apporté.

 

Ne meurent plus les pierres

 aussi bien restaurées

 que l'escargot embrasse longuement

 toutes cornes dressées.

 

Peu à peu,

 l'horizon se dénude

 et les couleurs

 prennent des forces

 que découpent les nuées

 au-dessus des falaises.

 Le Dévezou à croupetons

 contemple le soleil

 qui vient l'assassiner

 de sa lumière vive.

 Une baume bâille au vide

 et appelle le cru

 qui inonde le ciel.

 

 Se gonflent

 au loin

 les voiles de l'aurore.

 

Dans les bergeries silencieuses de Bel-Air,

 les arcs voûtés se tendent à la lumière;

 ils se souviennent des brebis allongées

 sous ces voûtes grâcieuses.

 Maintenant, combien est vide

 le calme reposant de ses granges

 où se jouent les lumières et les ombres!

 

Une journée s'annonce

 par les bruits du jardin

 que l'homme emprisonne

 dedans ses mains fermées

 sous la houe meurtrière.

 Une femme,

 la sienne sans doute,

 est assise à la table du jardin

 et regarde, là-bas, vers le lointain.

 Fermé, un livre de Proust

 s'est échappé du banc

 et repose à terre.

 Aucune musique ne souligne

 l'émotion de l'heure matinale.

 Seul, un bol de thé fumant

 à côté d'une orange

 soude le bruit des coups

 de l'horloge qui s'égrène.

 

La matinée se lève

 et bande les heures

 qui cicatrisent

 sur les crevasses blanches

 des lèvres du plateau.

 L'homme, dans son jardin,

 pense qu'il va faire beau.

 

Marcel CHINONIS

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Ilarie VORONCA, les poètes du Rouergue et du Gévaudan n° 59