Jean COCTEAU

Jean COCTEAU



"Jean Cocteau avec nous !"

Une enfance œdipienne et bourgeoise, une adolescence de dandy proustien ; Jean Cocteau (1899-1963) est né à la fois bohême et mondain et, sans cesser de cultiver ces deux tentations, l’est demeuré. Il était donc inévitable que les surréalistes le méprisent.

Cocteau, nous l’avons tous, à un moment ou a un autre, trop méjugé, pour ne pas l’aimer. Car l’homme était ouvert, généreux et humain. L’artiste restant son propre et fidèle reflet. Cependant, au même titre qu’il voulait plaire et être aimé absolument, Cocteau a trop joué lui-même avec ses masques, cultivé l’ambiguïté ; et cela ne cessant de lui causer du tort. Sa création, en effet, ne laissait d’aspirer à davantage de respect que la classification répandue de curiosité amusante ou insolite, dont maints talentueux écrivains font leur balle.

Qui était-il ? Poète pompeux puis poète moderniste, il demeure cependant en retrait derrière un Cendrars, un Apollinaire, ou à un Reverdy, qui surent pour leur part rejoindre le hile profond de l’être et incarner en poésie, l’esprit de rupture d’avec le passé. Chez Cocteau, les genres s’imbriquent les uns dans les autres. Il n’y a pas de rupture. Tout est poésie. Cocteau est un dédale de genres et de masques qui ne mènent jamais qu’à un seul visage : celui de Jean Cocteau.

Cocteau est un tout. Cocteau est une mosaïque. Son univers, c’est celui de tous les possibles. Son univers, onirique par essence, se passe évidemment de vraisemblance. Cocteau s’abandonne à l’irréel et à la toute-puissance de la parole de l’artiste. Les signes du langage, qu’ils soient de l’ordre de la poésie, du roman, du théâtre, du cinéma, ou du dessin, ont pour lui le même degré d’authenticité, qu’ils créent de toutes pièces un univers merveilleux ou qu’ils soient censés décrire une expérience préexistante. D’où l’aisance avec laquelle Cocteau se meut dans le monde des légendes ou du conte, les critères habituels du vraisemblable en étant par définition exclus.

Les œuvres de Cocteau sont autant de projections qui éclairent une époque et la transforment, en lui donnant, avec le goût de la liberté, l’occasion de regarder sans cesse ailleurs. La vie comme l’œuvre de Cocteau, n’ont jamais cessé de répondre à l’exhortation qu’en 1913, Serge Diaghilev avait adressé au poète : « Étonne-moi ! » L’entreprise poétique de Cocteau converge vers la révélation d’un autre monde. Le poète cherche à dévoiler le mystère de l’invisible caché derrière les apparences du quotidien. Cocteau réveille la part d’insolite, d’étonnement, dont le langage est susceptible. Les clés de son œuvre, il nous les donne lui-même à travers cette citation : « Voilà le rôle de la poésie », écrit Cocteau « elle dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nue, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistrent machinalement… Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète. »

Le poète occupe la place d’un médium qui établit une communication avec le monde que cache la vie : celui de la mort. Chez Cocteau, la mort réunit d’ailleurs plus qu’elle ne détruit, voir L’Éternel Retour. La mort est tellement inséparable de la vie, l’invisible tellement collé au présent que les objets les plus banals sont aussi les plus aptes à déclencher les mécanismes du rêve. Cocteau relit les mythes et se les approprie pour constituer son propre univers.

Cocteau est une étoile à part, un iconoclaste qui échappe à toute classification. Arrêtons de l’étiqueter, même si nous vivons à l’époque des codes-barres. La leçon que nous donne le génie de Cocteau, comme l’influence qu’il peut exercer, reposent sur le constat que derrière la mondanité et le jeu des mots (c’est à dire derrière les apparences), se profilent, incontournables, l’homme et ses fêlures, l’homme entier, l’homme total, l’inquiétude, la douleur et la fatalité qu’avouent des essais remarquables tels que Le Secret professionnel (1922), La Difficulté d’être.

Avec Georges Bataille, André Breton, Blaise Cendrars ou Henry Miller, René Char ou Albert Ayguesparse, Jean Cocteau fut un aîné attentif, bienveillant (et le plus accueillant, d'après Jean Breton) de la revue Les Hommes sans Épaules, qui ne l'a jamais oublié. Lié dès la fin des années 30 au poète et romancier Henri Rode, Cocteau fit la connaissance de Jean Breton (avec lequel il se lia d'emblée), lorsque ce dernier fut chargé de l'interviewer pour la Radiodiffusion télévision française (R.T.F.), le 27 octobre 1957. Diffusé à la radio, cet entretien fut publié intégralement dans la revue Le Pont de l'Épée n°23 (1963), par Guy Chambelland. En 1968, ce dernier et Jean Breton publièrent, dans la collection de poche Poésie-Club, qu'ils dirigeaient conjointement (éd. Guy Chambelland/éd. Saint-Germain-des-Prés), Faire-part, un livre réunissant les poèmes inédits (1922-1962) de Jean Cocteau.

Jean Cocteau ; ce n'est pas dans un « chapeau » de quelques lignes qu'on va cerner cet arlequin centrifuge. Et centripète. Il est toujours son contraire. Je serai bref, a écrit Guy Chambelland : « Le mondain m'indiffère; le dessinateur, il a bien le droit; le cinéaste, il y a des choses, mais quand on compare Le Sang d'un poète au Chien andalou... Quant à l'académicien qui serre, en bicorne, la main du garde républicain à la sortie de la « Coupole », ça fait mal. Parce qu'on attend autre chose que des pitreries, fussent-elles pour se masquer la mort, d'un grand poète, et je dis qu'il l'est : moderniste (Vol avec Roland Garros), pré-surréaliste (Les images de Poésie, 1920), classique (Plain-Chant), re-moderne quarante ans plus tard avec Le Requiem. Il donne en permanence, poète, leçon aux essoufflés du Parnasse. Il rappelle sans appel qu'il n'y a poète qu'avec le don de jongler, nécessairement, avec les mots, que si l'on a eu de naissance le viatique fabuleux des bonheurs d'expression: « Un silence d'espadrille - précède le marlou ».

Faire-part fut réédité l'année suivante en 1968, par Jean Breton, dans le numéro un de sa revue (appelée à devenir mythique) Poésie 1, avec un avant-propos de Jean Marais (qui était également lié à Henri Rode et à Jean Breton) : « Pour Parler de Jean Cocteau, la presse paresseuse employait toujours les mêmes clichés : illusionniste, enchanteur, magicien, et cela me scandalisait. Un demi-siècle d'invention et d'émerveillement en sont la cause. En outre, cet homme attentif était toujours en avance. Il quittait la place croyant s'être trompé de date et longtemps après on voyait la mode s'emparer de ses découvertes et ne pas lui en tenir compte. Il n'a cessé de contredire les habitudes et de dérouter le public en cherchant une place fraîche sur l'oreiller. Son cœur dirigeait son intelligence et son cœur était aussi pur que son intelligence était grande, ce qui déroutait et rendait incompréhensible certains de ses actes... »

À l’avant dire de Jean Marais, succédait une préface de Claude Michel Cluny : « ... Faire-part veut peut-être dire : maintenant que je ne suis plus que moi, vous me connaîtrez mieux. Et le paysage secret retrouve son ordre, ses profils affrontés; ces chiffres sont les traits ornés dont la ligne droite atteint alors au cœur des choses les plus simples, celles qui s'avèrent toujours si difficiles à dire dans un langage que tous les mots trahissent, comme la photographie trahit le peintre. Nous sommes devant cette ruche de verre où les abeilles de la mort ont pris à la vie un miel que je crois assez âpre. La tendresse y est tenue à la gorge, même si, pour Jean Cocteau, les roses de Ronsard ont pouvoir de rêver. Et l'onirisme est la poésie surprise en flagrant délit : elle invente sa réalité... »

Un an plus tard, Jean Breton réédita, avec l'accord d'Édouard Dermit, Le Livre blanc (récit érotique qui avait paru sans nom d'auteur en 1928) de Jean Cocteau, dans la collection Érotika Biblion (Bernard Laville, 1970). Cocteau décrit dans Le Livre blanc ses premières expériences sexuelles: son émoi à la vue d'un fils de fermier nu sur un cheval et de deux jeunes bohémiens nus sur les terres de son père. Il y parle également de son père, chez qui il reconnaissait une nature homosexuelle. Certaines scènes du Livre blanc font référence à l'amour que Cocteau portait à Desbordes, d'autres aux aventures de Maurice Sachs. Tous deux ne survécurent pas à la Seconde Guerre mondiale: Desbordes fut torturé à mort par la Gestapo; Maurice Sachs joua un obscur double rôle et disparut.

Cinq plus tard, Jean Breton édita, avec une lithographie originale d'Édouard Dermit, Les Lettres à Milorad (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1975) de Jean Cocteau; un livre qui prouva, s'il en était besoin, qu'à la « poésie de poèmes », la « poésie de roman », la « poésie de théâtre », la « poésie critique » (c'est ainsi qu'il décrivait son œuvre), il convenait d'ajouter définitivement : la « poésie épistolaire ». Entre 1955 et 1963, année de sa mort, Cocteau écrivit environ deux cents lettres à Jean Milorad. Les Lettres à Milorad furent très vite qualifiées de « nouvelles lettres à un jeune poète », en écho à celles, célèbres, de Rainer Maria Rilke.

C'est enfin en 2004, que fut décidé, au sein des Hommes sans Épaules, de rendre un nouvel hommage au poète du Cap de Bonne-Espérance, à travers la parution de Autour de Jean Cocteau, un compact disc, comprenant : une présentation de Christophe Dauphin (« Hommage à Jean Cocteau »), un long entretien d'Henri Rode (avec Didier Mansuy), qui évoque son amitié avec Cocteau, l'homme de la lumière, mais aussi celui de l'ombre, moins connu; un deuxième entretien de Jean Breton (avec Sébastien Colmagro), évoquant sa rencontre avec Cocteau et la façon dont il perçut et l'homme et l'artiste; et enfin une lecture des poèmes de Jean Cocteau (issus de Faire-part), clôture cet ensemble, qui ne fut pas commercialisé, mais offert aux abonnés de la revue Les Hommes sans Épaules.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
René DEPESTRE, Roger KOWALSKI, les éditions GUY CHAMBELLAND n° 10

Dossier : ILARIE VORONCA, le centenaire de l'ombre : 1903-2003 n° 16

Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules


 
AUTOUR DE JEAN COCTEAU