Imre KERTÉSZ

Imre Kertész est né dans une famille juive de Budapest le 9 novembre 1929. À l’âge de quinze ans, il est déporté à Auschwitz en 1944, puis transféré à Buchenwald. Il est libéré en 1945. Il rapporetra plus tard: "Je peux me définir ainsi, comme une sorte de juif qui n'a pas existé avant Auschwitz. Ma judéité est l'Holocauste. C'est l'Holocauste qui m'a fait juif. Je n'ai pas d'autre identité juive. Ma formation et ma culture sont européennes. " Après avoir obtenu son baccalauréat en 1948, il commence à travailler en tant que journaliste pour le quotidien Világosság, qui change bientôt de nom et devient l’organe du parti communiste. Il est licencié en 1951 et effectue alors son service militaire durant deux ans. Sans l’expérience de cette paralysante époque du « socialisme goulasch », ses romans n’auraient pas la même envergure, tant ses œuvres sont à la fois imprégnées des camps de concentration et de la vie d’après-guerre sous le règne de Moscou. Souffrance, lucidité, ironie, refus de tout totalitarisme : tels sont les éléments de l’œuvre d’Imre Kertész qui confèrent une portée universelle à son art.
C’est à partir de 1961 qu’il travaille à son premier roman Être sans destin, dont l’écriture lui prendra dix ans et qui paraîtra dans l'indifférence générale, en 1975. Il est alors âgé de quarante-six ans. Il s'agit d'un récit sans pathos, distancié, sur ses mois de déportation. Une grande œuvre bouleversante et provocante. On y voit la guerre à travers les yeux d'un adolescent insouciant, amoureux, qui part sans crainte dans un train bondé vers un camp de travail. Arrivé à Auschwitz, il décrit les femmes qui se refont une beauté et les soldats allemands « pimpants et bien soignés au milieu de ce tohu-bohu, eux seuls étaient solides et respiraient la sérénité ». Plus loin, il écrit: « Mes compagnons se demandaient, à juste titre selon moi, si l'épidémie était importante au point de faire tant de morts »… Kertész ou l'autre regard sur l'Holocauste.
En 1988 paraît le deuxième tome de la trilogie, Le Refus, et en 1990 Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas. Pendant quarante ans, il vit avec sa femme dans un studio minuscule, en marge de la société hongroise, et gagne sa vie en écrivant des comédies musicales et des pièces de boulevard. Après la parution de son premier roman, il effectue également des traductions (il a notamment traduit Nietzsche, Freud, Hofmannsthal, Canetti et Wittgenstein).
Après la chute du Mur, il confie la gestion des droits de ses œuvres à un éditeur allemand. Dans les années quatre-vingt-dix, par l’intermédiaire de la version allemande de son œuvre, à l’élaboration de laquelle il participe avec minutie, il acquiert petit à petit une grande renommée, d’abord en Allemagne, puis dans le monde entier.
Le journal-essai Un autre. Chronique d’une métamorphose, rend compte des bouleversements survenus dans la vie de l’auteur, et de sa façon de faire face aux contradictions du monde occidental. Lauréat du prix Nobel de littérature 2002, Imre Kertész est l’auteur d’une œuvre incontournable, publiée en France chez Actes Sud.
Imre Kertész s’est éteint à l’aube, jeudi 31 mars 2016 à son domicile de Budapest, où il était revenu s’établir après avoir résidé en Allemagne jusqu’en 2013.
Kertész ne supportait pas que les Hongrois lui reprochent d’être le seul prix Nobel national alors même qu’il ne glorifiait pas la « hungaritude ». Il n'approuvait pas la Hongrie d’aujourd’hui « envoûtée par Viktor Orban comme par le joueur de flûte de Hamelin ». Il ne cachait pas son désarroi face à la situation d’un pays gangréné par l’antisémitisme et la « culture de la haine », où les rampes de métro, disait-il, sont couvertes d’affiches qui lui rappelaient douloureusement « celles du Parti des Croix fléchées en 1938 », parti pronazi fondé en 1939 par Ferenz Szalasi. Il ne cachait pas son « effarement » devant la recrudescence de l’antisémitisme tout comme le risque de voir « les gardes-frontières qui entreprennent de défendre l’Europe contre la barbarie montante » devenir « à leur tour des fascistes ». « Auschwitz n’a pas été un accident de l’Histoire », déclarait-il en 2015, « et beaucoup de signes montrent que sa répétition est possible ».
César BIRENE
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire : Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas (1995), Être sans destin (1998), Un autre, chronique d'une métamorphose (1999), Le Refus (2001), Le Chercheur de traces (2003), Liquidation (2004), Le Drapeau anglais (2005), Roman policier (2006), Dossier K (2008), L’Holocauste comme culture (2009), Journal de galère (2010), Sauvegarde. Journal 2001-2003 (2012), L’Ultime Auberge (2015).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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