Henri TERRAL
Henri Terral, né à Millau le 22 juin 1852, est le plus social et le plus révolté des poètes aveyronnais. Fils d’un modeste tailleur d’habits, il est ouvrier gantier[1] à Millau, à l’âge de dix-huit ans. Pauvre, il mène une vie misérable avec sa famille et perd ses six enfants en bas âge : J’ai bien souvent maudit le jour qui me vit naître, - Jeune encor, j’ai subi des tortures sans nom, - Le boulet du travail a brisé tout mon être.
Henri Terral, le poète « coupeur de gant », le poète-ouvrier, social, républicain et laïc, en révolte et en amour, est parvenu à faire des études et se bat pour promouvoir l’instruction du peuple, à la manière de Victor Hugo, qui écrit en exil, en 1853 (in Les Quatre vents de l’esprit) : Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. Terral ajoute : Ce peuple a découvert un remède à ses maux, - Il prend le livre pour s’instruire ; - Et vous tremblez !... songeant que jusqu’en nos hameaux – Tout homme, demain, saura lire ! Il avait la main chaude Terral.
La main chaude, c’est aussi la main métallique chauffante, sur laquelle se termine le dressage du gant, et qui permet jadis au gantier de donner au fruit de son travail son aspect définitif. Terral est également l’auteur de la chanson (publié dans l’Ormonac rouërgàs, en 1912), localement très célèbre, A ! qu’es polit Milhau (Oh ! que Millau est joli !) : A ! qu’es polit Milhau, - Quand lo sorelh i brilha ! - A ! qu’es gai nòstre trauc, - Quand l’aucèl i bresilha. - Celebrem donc Milhau, - Cantem son industria, - Viva nòstra patria ! - Viva nòstre Milhau ![2] Secrétaire général de la mairie, Terral est le « Mazenq de Millau », en quelque sorte. Mais il y a une différence de taille entre les deux hommes. Mazenq ne cautionnerait certainement pas ces vers de Terral : Je maudis alors l’homme noir – Qui prend ces gueux, les fait asseoir – À la mangeoire cléricale, - Et je dis aux infortunés : - Souvenez-vous que vos aînés – Chassèrent la meute royale. Terral n’est-il pas le frère en révolte, misère et amour de Voronca, lorsque ce dernier écrit (In La Clé des réalités, 1944) : Avec des fouets de flamme je vous chasserai - Du temple aux hauts piliers de l’univers - J’éventrerai vos coffres-forts, je nettoierai - Les pierres que vos regards avides ont souillées. Henri Clément Terral est mort à Millau le 10 décembre 1897, à l’âge de quarante-cinq ans.
Œuvres : Loisirs d’un prolétaire, Odes & Poèmes (Imprimerie L’Estival, 1888).
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
[1] Dès le XIIème siècle, des textes mentionnent l’existence de mégissiers (tanneries de peaux d’agneau et chevreau) travaillant la peau d’agneau, à Millau. La ganterie se développe grâce à de nouvelles machines qui permettent de découper les peaux plus vite : la mode du gant est lancée. L’industrie gantière connait son apogée entre les deux guerres mondiales, Millau devient « Capitale mondiale de la Peau et du Gant ». La production continue à augmenter au fil du temps. L’activité gantière devient l’activité principale en ville et alors 80 ganteries se partagent le marché. Au plus fort de l’activité jusqu’à 7.000 personnes travaillent dans l’industrie de la peau et du gant. La ville atteindra en 1963 la production record de plus de 5 millions de paires de gants et une dizaine de milliers de vêtements en cuir. Mais l’activité massive de la ganterie, très liée à la concurrence des pays émergents, à la mode qui l’oublie avec l’arrivée du jean, et à la massive utilisation du « simili cuir » ralentit considérablement sa production.
[2] Oh ! que Millau est joli, - Quand le soleil y brille, - Oh ! que notre trou est gai, - Quand l'oiseau y chante. - Célébrons donc Millau, - Chantons son industrie, - Vive notre patrie, - Vive notre Millau !
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Ilarie VORONCA, les poètes du Rouergue et du Gévaudan n° 59 |