Edith BRUCK

Edith BRUCK



Edith Bruck, née Edith Steinschreiber, la dernière des six enfants d’une famille juive pauvre, est née le 3 mai 1931, à Tiszabercel (Hongrie). Edith témoigne : « Nous étions six enfants. Mes deux grandes sœurs Sara et Mirjam vivaient à Budapest où elles étaient allées pour apprendre le métier de tailleur et mon frère David était parti pour aller travailler sitôt les classes élémentaires terminées. À la maison, dans un petit village hongrois à la frontière de la Slovaquie, nous étions ma sœur Judit, mon frère Jonas et moi, les derniers de la nichée. Notre famille était pauvre. Nous habitions dans deux pièces avec un toit en paille. Je me rappelle le bruit d’une goutte d’eau qui tombait et ma mère qui traquait la pluie en disposant des écuelles. Je me souviens aussi quand, après la mort de ma grand-mère, nous trouvâmes, dans une poche cousue de son vêtement, un petit trésor. Quelques billets de banque, deux alliances, et une petite chaine en or avec l’étoile de David. Cette petite somme que notre grand-mère avait défendue du besoin avec ténacité, signifiait une nouvelle maison, minuscule mais avec un toit en tuiles rouges et un beau saule qu’on voyait de la fenêtre… Mon père partait dès la nuit et allait en ville vendre des bêtes pour le compte d’autres, mais il n’avait aucun sens des affaires et récoltait très peu de ce dur métier. Il était d’une générosité extraordinaire. Un soir mon père rentra à la maison sans son manteau. À ma mère qui lui demandait pourquoi, il répondit qu’il l’avait donné à quelqu’un qui en avait plus besoin que lui. »

Toute la famille est déportée de Hongrie, en avril 1944 : « Arrivés à Auschwitz, aussitôt descendus du train les allemands nous répartirent d’un côté et de l’autre : à droite on était envoyé vers les travaux forcés, c’est-à-dire l’anéantissement par la faim, le froid et l’épuisement ; à gauche vers les chambres à gaz. À Judit ils indiquèrent la droite, à ma mère et moi la gauche. Un allemand nous arrêta et m’intima de passer à droite… Un matin, Alice, une kapo, une juive polonaise surveillante pour le compte des allemands, m’amena à l’entrée du baraquement et me dit : Tu vois cette fumée ? Ils ont fait du savon avec ta mère… Le camp c’était cela, la cruauté systématique, le mal absolu. Et pourtant, comme je l’ai dit, des moments de lumière, il y en a eu. À Dachau où nous travaillions à creuser des tranchées et aux traverses des rails, un jour un soldat allemand me lança sa gamelle afin que je la lave, mais au fond il avait laissé de la compote pour moi. » Edith Bruck et sa sœur Judit sont déportées à Dachau, Christianstadt, puis à Bergen-Belsen, dont elles sont libérées le 15 avril 1945 par les Alliés : « C’est difficile d’être un survivant. Quand on apprit le suicide de Primo Levi, c’est ce à quoi j’ai pensé dans la douleur insupportable de la nouvelle. Nous étions amis, « frères et sœurs des camps » disions-nous en plaisantant, mais je ne lui ai pas pardonné son geste. La vie n’appartient pas seulement à nous, mais aussi à l’histoire. » Après la guerre, de retour en Hongrie, Edith rejoint une autre de ses sœurs en Tchécoslovaquie. À seize ans, elle se marie et émigre en Israël, qu’elle quitte, déçue. Deux autres mariages suivront et autant de divorces. En 1954, Edith Bruck s’installe à Rome où elle devient une figure majeure du milieu intellectuel et artistique italien. Dans son pays d’adoption, elle épouse Nelo Risi, metteur en scène comme son frère, le cinéaste Dino Risi : « Nelo était un homme d’une extraordinaire moralité, d’une honnêteté lumineuse : il aimait la liberté, l’engagement civil, il détestait l’argent et les compromis, il avait un sens très profond de la liberté et de la justice. »  Grâce à eux, Edith Bruck se trouve au cœur du bouillonnement culturel italien des années 1960 et 1970. Elle publie en 1959 son premier livre, autobiographique, en italien. Une vingtaine d’autres suivront, en prose et en vers. Elle traduit en italien également des poètes hongrois (Attila József, Miklós Radnóti ou Gyula Illyés). Dans les années 1970 et 1980, elle travaille comme scénariste et réalisatrice pour la Rai. Témoigner devient son combat : quarante ans de périples dans toute l’Italie, d’école en école et de lycée en lycée… : « Il suffit de quelques gestes pour sauver le monde. »

Le 20 février 2021, le pape François effectue une rare sortie du Vatican pour rendre visite à Edith Bruck et déclare : « Je suis venu ici, chez elle, afin de la remercier pour son témoignage et pour rendre hommage au peuple martyr de la folie du populisme nazi… »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres (traduites en français) : Le pain perdu (éditions du sous-sol, 2022), Pourquoi aurais-je survécu ?, poésie, anthologie (Rivages poche, 2021), Qui t’aime ainsi (Kimé, 2017), Lettre à ma mère (Kimé, 2018), Signora Auschwitz (Kimé, 2015).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Edouard J. MAUNICK, le poète ensoleillé vif n° 53