Ananda DEVI

Ananda DEVI



Ethnologue de formation – docteur en anthropologie sociale (University of London) – et traductrice de métier, Ananda Devi, née le 23 mars 1957 à Trois-Boutiques (Île Maurice), est surtout poète, romancière et assurément l’une des figures centrales de la littérature mauricienne et de l’Océan Indien. Son œuvre, profondément imbibée et immergée dans la société insulaire mauricienne, est à la fois tragique et poétique : « Je crois, répond-elle (in île en île.org) que l’insularité fait partie de mon identité. En fait, on est sur une toute petite île au milieu de l’océan Indien, qui n’est liée à aucun continent et qui est assez éloignée du continent africain. L’île est à la fois notre radeau dans une mer immense, dans un océan où l’on peut se noyer, mais elle est aussi notre prison, parce que l’océan nous sépare de tout. Les gens qui habitent les îles ont tout le temps envie de partir, et en même temps, ils sont tellement enracinés dans l’île qu’ils ont envie de rester. On est un peu comme cela : sur un balancier entre l’envie du départ et de revenir. Même quand je n’habite plus là-bas, l’île m’habite. »

Hantée par les questions de l’exclusion, de l’altérité, de la déviance et de la souffrance, comme l’écrit Véronique Bragard, Ananda Devi dénonce le climat étouffant d’une société aux multiples cloisonnements. Par la force et la violence des mots, elle se dresse contre toute forme de rejet et propose un véritable engagement de l’imaginaire insulaire pour la reconnaissance de l’altérité, ne manquant pas de s’interroger elle-même : « Qu’est-ce qui fait que j’écris ? Qui suis-je comme écrivain ? Depuis longtemps, je suis persuadée d’être deux personnes (comme beaucoup d’autres personnes ressentent, je pense). La personne qui écrit n’est pas la même que celle qui vit, qui parle. Ce n’est pas tout à fait moi qui écris ; c’est quelqu’un d’autre qui m’habite, peut-être, et qui prend le relais de temps en temps. Au moment du déclenchement de l’écriture, c’est quelqu’un de fort, de beaucoup plus fort que moi. Je vois cette personne ou ce personnage comme quelqu’un d’intraitable et d’intransigeant, qui n’a besoin de personne, qui a son monde et qui est bien dans ce monde-là. Je peux sortir et être dans le monde, mais quand je suis en train d’écrire, c’est quelqu’un qui attire tout vers son monde, qui peut capturer la nature, les êtres. C’est qui est étonnant, c’est que c’est un monde très noir et très sombre. C’est aussi la question que je pose dans Indian Tango : qu’est-ce qui fait qu’un écrivain soit attiré par les ténèbres ? Je donne des réponses un peu ironiques, parfois je dis oui, c’est facile après de dire, d’essayer d’attirer l’attention sur ce qui va mal dans le monde. Enfin, on crée une explication de cela. Mais est-ce que cette attirance vers les ténèbres n’est pas quelque chose de plus pervers ? On peut l’expliquer d’une façon positive. Mais il y a peut-être une attirance vers ce qui est obscur, vers la violence, vers la sensualité de la violence. Il y a aussi de cela. Il ne faut pas ignorer que l’on a toujours des objectifs, disons, altiers ou altruistes au moment où l’on écrit. Dans cette attirance, il y a aussi une sorte de perversité qui fait que l’on a envie d’aller chercher cette violence-là – cette espèce de cruauté de la vie – pour en faire une matière d’écriture. La première fois que j’aie mis cela en mots, j’avais toujours un peu cette impression-là. » Dans on livre de poèmes, Ceux du large, Ananda Devi, comme l’écrit très justement Bruno Doucey, son éditeur, suit l’errance des réfugiés, « ces êtres qui ont fui la terre où ils vivaient pour tenter d’atteindre une autre rive. Malgré la « terreur de l’eau », malgré la mort en embuscade… Un chant de fraternité pour tous les réfugiés du monde. »

Karel HADEK

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres d’Ananda Devi, Poésie : Les Chemins du long désir (Grand Océan, 2001), Le long désir (Gallimard, 2003), Quand la nuit consent à me parler (Bruno Doucey, 2011), Ceux du large (Bruno Doucey, 2017), Danser sur tes braises, suivi de Six décennies (Bruno Doucey, 2020).

Romans : Rue la poudrière (Nouvelles Éditions Africaines, 1989), Le voile de Draupadi (L’Harmattan, 1993), L’arbre fouet (L’Harmattan, 1997), Moi, l’interdite (Gallimard, 2001), Soupir (Gallimard, 2002), La vie de Joséphin le fou (Gallimard, 2003), Ève de ses décombres (Gallimard, 2006), Indian Tango (Gallimard, 2007), Le sari vert (Gallimard, 2009), Les hommes qui me parlent (Gallimard, 2011), Les jours vivants (Gallimard, 2013), Manger l’autre (Grasset, 2018), Le rire des déesses (Grasset, 2021).

Nouvelles : Solstices (Regent Press, 1977 ; Rééd. Le Printemps, 1997), Le poids des êtres (Éditions de l’Océan Indien, 1987), La fin des pierres et des âges (Éditions de l’Océan Indien, 1993), L’ambassadeur triste (Gallimard, 2015), L’Illusion poétique (Paulsen, 2017).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Edouard J. MAUNICK, le poète ensoleillé vif n° 53