Haut Karabagh ARTSAKH - Arménie

Haut Karabagh ARTSAKH - Arménie



LES 40.000 FENÊTRES DE CHOUCHI, VIE ET MORT DE LA RÉPUBLIQUE D'ARTSAKH,

UNE HONTE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

par Christophe DAUPHIN

 

Aimer un pays, c’est l’aimer surtout dans ses heures difficiles. C’est se sentir solidaire de ses choix et de ses refus, c’est participer à ses passions… c’est vivre avec lui en totale sympathie, en précisant que là encore sympathie est un mot grec qui signifie étymologiquement : souffrir avec.                           

Jacques Lacarrière (in L’Été grec, 1975).

  

Revendiquée par la République d’Artsakh[2], Chouchi, l’ancienne capitale du Haut-Karabagh, est occupée depuis le 9 novembre 2020 par l’agresseur Azerbaïdjanais. Celui-là même qui, le 12 décembre 2022, s’est livré à un nouvel acte criminel en fermant le corridor de Latchin (5 km de large, 65 km de long), la seule route permettant de relier l’Arménie au Haut-Karabakh. Plus personne ne passe. 120.000 Arméniens sont en danger, coupés du monde, privées de nourriture, de soins et d’électricité. Une asphyxie qui a entraîné une grave crise humanitaire. L’objectif est clair, toujours le même : vider l’enclave de ses habitants Arméniens. Le pire est à venir en septembre 2023.

« Là, quarante mille fenêtres vous regardent de leurs yeux morts », écrit en 1930 le poète russe Ossip Mandelstam, bouleversé par sa visite à Chouchi. Dix ans auparavant, en 1920, des pogroms anti-Arméniens tournèrent au massacre généralisé, du 22 au 26 mars 1920, pendant la guerre arméno-azerbaïdjanaise (1918-1922) : 23.000 civils Arméniens sont tués (la totalité de la population) et les quartiers arméniens de la ville entièrement détruits. En 1930, voyant les coquilles vides des maisons, Mandelstam écrit : « Là, quarante mille fenêtres vous regardent de leurs yeux morts. » La ville reste en ruine jusque dans les années 60. Le projet de développer le tourisme dans la région favorise alors sa reconstruction et son repeuplement. Chouchi comptait 4.446 habitants en 2015.

Mon ami Raphaël Throrossov, rescapé du génocide des Arméniens se retourne dans ses cendres. Il n’a pas pu mourir en paix, dans notre village de La Madeleine de Nonancourt (Eure), à l’âge de 101 ans, le 25 septembre 1989, puisque depuis un an, la tragédie et les massacres étaient de retour dans le Haut-Karabagh, ce territoire de 4.400 km carré enclavé dans l’Azerbaïdjan. Je pense à toi Raphaël et à Chouchi. J’ai ressorti mon passeport de citoyen de la République du Karabagh, de 1991. Comme rien ne change, depuis le grand discours de l’immense Jean Jaurès au parlement, en 1896 : « Quoi, devant tout ce sang versé, devant ces abominations et ces sauvageries, devant cette violation de la parole de la France et du droit humain, pas un cri n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences, et vous avez assisté, muets et, par conséquent, complices, à l’extermination complète… ». Et toujours ce silence, cette indifférence de la communauté européenne, bien assise dans sa posture cynique et hypocrite du droit-de-l’hommisme… Étoile ! Étoile ! (…) As-tu déjà paru en Ukraine ?, interroge le grand kobzar ukrainien Taras Chevtchenko. Les yeux des gouvernements européens, français, compris, sont, depuis le 20 février 2014, dans le seul ciel d’Ukraine, martyrisé, certes. Le ciel de Chouchi, lui, est vide…

Les Arméniens représentent 95% de la population de ce territoire (150.000 personnes), qui est historiquement le leur, comme l’atteste sur cette terre le site antique de Tigranakert (1ersiècle av. J.-C.). Pour mémoire : Après la Révolution russe de 1917, alors que la guerre fait rage, les nationalismes s’affirment, ainsi que les conflits territoriaux. En mai 1918, l’autorité sur le territoire du Haut-Karabagh est disputée entre la Première République arménienne (1918-1920) et la République d’Azerbaïdjan (1918-1920). Chouchi, la capitale de ce territoire et la ville la plus peuplée (43.000 habitants) se trouve au cœur du conflit. En parallèle l’Armée islamique du Caucase[3] (20.000 soldats), commandée par Enver Pacha (l’un des principaux responsables du génocide arménien de 1915), qui refuse la défaite de l’Empire ottoman, est soutenue par le gouvernement azerbaïdjanais.

L’intervention de l’Armée rouge en 1920 met « fin » à la guerre arméno-azerbaïdjanaise. Un an plus tard, le 4 juillet 1921, le bureau caucasien du Parti communiste rattache le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan. En mars 1922, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont rassemblées en une même entité, la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie, avec Tbilissi pour capitale. Cette république sera dissoute en 1936 et les trois républiques soviétiques reprendront leur autonomie au sein de l’URSS. En 1923, est fondé l’Oblast du Haut-Karabakh (région autonome) ; soit l’annexion du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan. L’« appartenance » du Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan ne repose que sur une annexion et ne relève pas d’une appartenance historique ou légale.

À l’époque, la Turquie de Mustafa Kemal est préoccupée par la consolidation de son État, avec la hantise de voir sur sa partie orientale la naissance d’une grande Arménie, telle que les puissances alliées l’avaient imaginé, en amputant la Turquie de près d’un tiers de son territoire actuel. La République socialiste fédérative de Russie (l’URSS n’est proclamée qu’en 1922) de son côté, a surtout besoin de stabiliser la frontière caucasienne et de se consolider. Cette convergence d’intérêt débouche sur une annexion, fondement même du conflit actuel et persistant.

Gérard Guerguerian, conseiller du Défenseur des Droits de la République d’Artsakh, et auteur de Nagorny-Karabakh, entre sécession et autodétermination (Sigest, 2017), écrit (in Le Figaro, 6 octobre 2020) : « La population de l’Artsakh est tout simplement confrontée à une annexion arbitraire du pouvoir soviétique qui assurait à la Turquie naissante la non-reconstitution d’une Arménie étendue, et donnait le gage de sa prise en tenaille à l’est et à l’ouest par une suzeraineté azérie. L’Arménie restait de la sorte sous contrôle du frère de la Turquie (deux États, mais une même Nation). Les Arméniens sont trop attachés à ce territoire historique du Haut-Karabakh, grand comme le Liban ; ils ne lâcheront jamais prise, car cette terre est la leur. Souvent dominés (Arabes, Perses, pouvoir soviétique), la région n’a pas connu d’invasions significatives et est restée telle quelle dans son authenticité. On pourrait presque parler d’un esprit insulaire, si l’on voyait la mer autour. C’est tout comme - on ne voit que des montagnes à perte de vue. »

La Première Guerre du Haut-Karabagh (1991-1994)

Chronique d’une tragédie annoncée : Soixante-dix ans plus tard, entre 1988 et 1990, des manifestations en faveur de l’indépendance dégénèrent en affrontements violents. Le Haut-Karabakh Arménien, dans le cadre de de la perestroïka, période d’ouverture politique en URSS, s’autoproclame République socialiste soviétique, en février 1988. Bakou demande quelques mois plus tard, en juin, le retour du Haut-Karabakh dans son territoire. Des pogroms d’Arméniens sont orchestrés en Azerbaïdjan : à Sumgait (30 morts, le 27 février 1988), à Kirobovad (130 morts le 27 novembre 1988) et à Bakou (90 morts et 700 blessés, du 12 au 19 janvier 1990).

Au lendemain de la dissolution de l’URSS et de l’indépendance de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie en 1991, le conflit s’envenime : le Parlement de Bakou abolit le statut d’autonomie de l’oblast du Haut-Karabakh. La majorité de la population arménienne déclare son indépendance par référendum en tant que République du Haut-Karabakh. Le 26 novembre 1991, la première guerre éclate. Les combats s’intensifient et la crise s’internationalise, avec des médiations de la part de la Russie, de la CEI (Communauté des États indépendants) et de l’ONU. En 1994, vers la fin de la guerre, les Arméniens contrôlent 14 % du territoire azerbaïdjanais, dont l’enclave du Haut-Karabagh représente 5%, et les régions adjacentes 9 %. Le conflit fait 400.000 réfugiés arméniens d’Azerbaïdjan et 800.000 réfugiés azéris d’Arménie et du Karabagh.

30.000 morts plus tard, un cessez-le-feu est signé en mai 1994 avec la médiation russe. Malgré tout, des escarmouches meurtrières éclatent de manière régulière le long de la frontière, en 2020 et en 2021-2022, avec cette fois un succès pour l’Azerbaïdjan et l’évacuation des trois quarts du territoire occupé depuis 1993 par l’Arménie. L’impunité n’est hélas qu’une invitation à recommencer. Au Karabagh (Artsakh, en arménien, depuis 2017), en septembre 2020, les Arméniens livrent un combat inégal contre l’agression de la coalition turco-azerbaïdjanaise[4], appuyée par près de deux mille mercenaires djihadistes islamistes et armée par l’État d’Israël : drones, missiles, radars, artillerie, bateaux et matériel de renseignement pour cinq milliards de dollars.

En échange, l’Azerbaïdjan vend du pétrole à Israël et lui permettrait de lancer des opérations contre l’Iran voisine. Tel-Aviv, qui ne reconnaît pas le génocide des Arméniens (ce qui est un comble !), importe un tiers de sa consommation de pétrole de Bakou et lui vend notamment des drones Harop qui ont fait la différence en 2020. Israël est de fait le plus grand fournisseur d’armes de l’Azerbaïdjan. « Le comportement d’Israël est une insulte à l’éthique et à l’histoire. Un comportement d’autant plus honteux qu’il provient d’une nation bâtie sur les ruines du génocide. Le souvenir du génocide a souvent été utilisé comme un instrument politique, et non comme une orientation morale », écrit (in slate.fr) le journaliste israélien Yossi Melman.

Les Loups-Gris en France (2020)

En France - comme en parfaite et triste résonnance avec les évènements de l’Artsakh -, mercredi 28 octobre 2020, deux cents Turcs, la plupart membres de la milice des Loups Gris[5],  mènent un violent « raid anti-arménien », en France, mercredi 28 octobre, dans les rues de Décines (Rhône), ville de la banlieue lyonnaise, qui abrite le mémorial du génocide arménien, qui est profané. Jeudi 29 octobre, une centaine de Turcs pro-Erdogan et anti-Arméniens manifestent en brandissant des drapeaux turcs en criant « Allah Akbar !  Vous êtes où les Arméniens ?  Sales fils de pute ! », dans le centre de Dijon. La plupart seraient nés sur le sol français et proclament : « Notre guide est le Coran et le Touran », appelant à la réunion de tous les turcophones à travers le monde. Combien sont-ils, actifs ou sympathisants, en France, à nier la réalité du génocide arménien par idéologie ou par ignorance et effet de la propagande d’Ankara ? Les actions communautaires hostiles n’ont pas leur place en France. Le gouvernement français prononce la dissolution des Loups Gris. Le dictateur Erdogan pacha poursuit son bras de fer avec la France, entamé de longue date sur d’autres dossiers : Syrie, Libye…

La deuxième guerre du Haut-Karabagh (2020)

La guerre de l’Artsakh, que l’Azerbaïdjan[6] est parvenu à « déplacer » les 13 et 14 septembre 2022 sur le territoire souverain de la République d’Arménie[7], s’achève sur une catastrophe : la défaite militaire des Arméniens. La résistance a été héroïque, mais isolée, sans soutien de la communauté internationale. Pourquoi ? Est-ce à dire qu’il s’agit de la « zone d’influence russe » et que c’est à la Russie seule, d’intervenir ? En Arménie comme en Artsakh, il n’y a ni pétrole, ni gaz, il est vrai, mais seulement des femmes et des hommes. Entre les droits de l’homme et les droits du pétrole et du gaz, le choix a été fait !..  L’Arménie, éternelle victime de la géopolitique des empires. En Ukraine, « ultra zone d’influence russe », s’il en est, il en ira autrement, en 2022.

On lit, dans un rapport d’information de la Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat : « En 2019, les échanges commerciaux de biens de l’UE avec l’Azerbaïdjan étaient dix fois plus élevés que ses échanges commerciaux de biens avec l’Arménie L’ouverture récente du corridor gazier sud-européen renforcera les liens avec l’Azerbaïdjan, bien placé sur les « Routes de la soie », alors que l’Arménie demeure marginalisée. L’UE et la France doivent renforcer et rééquilibrer leurs relations avec les pays du Caucase du sud, où prévalent aujourd’hui les influences croissantes de la Russie, de la Turquie et de la Chine. Il s’agit notamment de participer au désenclavement économique de l’Arménie. Le partenariat oriental doit être renforcé à l’égard des deux pays. L’UE a de réels leviers en faveur de la démocratisation et du développement économique, mais semble freinée par la crainte de tensions avec la Russie… Les relations économiques de la France et de l’Arménie ne sont pas à la hauteur de ce qu’elles devraient être. Dans le domaine culturel, le Fonds pour les écoles chrétiennes francophones d’Orient doit être renforcé et mis à contribution pour aider les écoles francophones du Caucase du sud. » Pour résumer : en 2019, les échanges commerciaux de l’UE s’élèvent à 1,2 M€ avec l’Arménie et 12,4 M€ avec l’Azerbaïdjan. En 2019, les échanges commerciaux de la France s’élèvent à 64 M€ avec l’Arménie et 749 M€ avec l’Azerbaïdjan. Montant des matériels soumis à autorisation préalable d’exportation livrés depuis 2011 par la France : à l’Azerbaïdjan (fourniture en orbite d’un satellite d’observation de la terre Spot 7) : 148 M€. A L’Arménie : 0 €.

La Russie, l’arbitre du conflit, intervient enfin en Artsakh. L’accord de cessez-le-feu est proclamé le 10 novembre 2020. Le gouvernement arménien se trouve dans l’obligation de consentir à ce qui s’impose et qui est en train de s’organiser malgré lui. Comment en est-on arrivé là, côté Arménien ? Gérard Chaliand écrit (in Le savoir de la peau, l’Archipel, 2022) : « Tandis que l’Azerbaïdjan, riche en pétrole et démographiquement largement supérieur, modernisait -avec l’aide de la Turquie – ses moyens militaires, Pachinian, le président arménien, commettait l’erreur majeure de s’éloigner de Moscou. La Russie pourtant était la seule garante de la sécurité de l’Arménie. Lorsque le conflit éclata, Vladimir Poutine avait bien l’intention de faire payer à l’Arménie ses velléités d’indépendance. L’impréparation de l’Arménie était grande et l’appui de la Russie tenu pour acquis une fois pour toutes était surestimé. L’Azerbaïdjan, pour sa part, bénéficiait de l’appui concret de la Turquie (drones), celui d’Israël, soucieuse de prendre l’Iran à revers, enfin d’un apport de troupes syriennes aguerries (deux mille hommes environ). Nikol Pachinian, au début de la guerre, allant jusqu’à déclarer qu’il n’y avait « rien à négocier » -, la guerre était perdue. Les dirigeants arméniens, Pachinian compris, à l’exception de Levon Ter Petrossian, n’ont pas le sens de l’État ni n’avaient pleinement pris conscience que le temps travaillait contre eux, surtout depuis 2016-2017. Sur le plan démographique comme sur le plan militaire, tandis que Bakou se renforçait et jouissait d’alliances précieuses bien décidées à l’épauler, l’opinion publique arménienne restait crispée dans un immobilisme mortel. Comme si l’Histoire leur devait quelque chose, le peuple arménien ayant beaucoup souffert, et que justice n’avait pas été rendue. C’était confondre morale et politique. C’était aussi oublier que la Russie avait avec Bakou des rapports dont elle devait tenir compte. L’Arménie va survivre, mais l’émigration vers la Russie s’est intensifiée et le pays risque de devenir un muséum. »

L’issue de cette guerre est un désastre sur tous les plans. L’accord qui en découle prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan des territoires entourant l’Artsakh, de même que le contrôle par l’Azerbaïdjan des territoires qu’il a envahis en Artsakh, soit les 3/4 du territoire. 45 jours : de l’agression Azérie (qui a fait plus de 5.200 morts, dont 2.350 Arméniens) le 27 septembre 2020 au cessez-le-feu du 10 novembre 2020. C’est le temps qu’ont résisté les Arméniens de l’Artsakh face aux assauts répétés de l’Azerbaïdjan. Les deux frères, l’Azéri Alyev et le Turc Erdogan n’entendent comme « issue » au conflit, que le retrait des Arméniens, avec pour objectif : la constitution d’une entité territoriale au sein du monde turco-musulman, ce qu’empêche l’ensemble Arménien.

L’Azerbaïdjan réclame un « couloir » extraterritorial dans le sud de l’Arménie qui relierait l’Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan[8], lui-même relié à la Turquie par une étroite bande de terre de 15 kilomètres. À quoi ce sont livrés les Azéris et leurs supplétifs islamistes, soutenus par la Turquie d’Erdogan pacha, en Artsakh ? Massacres, pillages, spoliations, bombardement du patrimoine culturel, tortures, mutilations sexuelles, femmes enceintes éventrées, nez coupés, langues tranchées, décapitations, comme au temps des massacres hamidiens, du génocide de 1895, de Cilicie, Adana en 1909 et bien sûr de 1915… Images de torture des soldats arméniens capturés, sur les réseaux sociaux...

Durant cette guerre, comme en témoigne, entre autres, en novembre 2020, le philosophe Michel Onfray qui s’est rendu sur place pour rapporter des faits, des témoignages de terrain (et un film documentaire de 62 minutes, Arménie, un choc des civilisations), on a vu des bombardements ciblés sur les édifices, monuments historiques, culturels et religieux arméniens, dont la cathédrale de Chouchi et le site antique de Tigranakert. On a vu des bombes à fragmentation et des bombes à phosphore blanc frapper les populations civiles, les enfants, des exécutions sommaires et décapitations.

La guerre entre Artsakhiotes et Azéris, après celle de 1988-94, est le nouveau signe d’un désastre : celui de la continuation du génocide de 1915 par d’autres moyens, avec les armées sophistiquées du XXIème siècle : un génocide au phosphore, aux drones, aux bombes à sous-munitions qui explosent et libèrent des charges qui, à leur tour, éclatent et projettent des éclats qui coupent chacun comme des milliers de rasoirs. C’est un génocide qui tombe du ciel en panaches de phosphore, en pluie d’obus qui s’abat sur une population debout, que le monde oublie. Le pire est à craindre de la dictature raciste et panturquiste d’Aliyev, le président-tyran de l’Azerbaïdjan qui compare les Arméniens à des « chiens ».

Bakou, Azerbaïdjan. 10 décembre 2020. Alors qu’une partie de l’Artsakh se vide de ses habitants ; que des Arméniens sont toujours détenus, torturés et exécutés dans les zones contrôlées par les Azerbaïdjanais ; Erdogan pacha - après un défilé militaire mettant en valeur des véhicules militaires, de l’artillerie et des drones de fabrication israélienne et turque - célèbre officiellement la victoire de l’armée azerbaïdjanaises (largement soutenue par la Turquie et ses supplétifs islamistes) contre la République d’Artsakh.

Il ne manque, dans son discours de rendre hommage aux bourreaux du génocide de 1915. : « Aujourd’hui, l’âme de Nouri Pacha, Enver Pacha, les braves soldats de l’armée islamique caucasienne vont se réjouir. » Nouri Pacha, commandant de l’Armée de l’Islam dans le Caucase, est responsable du massacre de 30.000 Arméniens de Bakou et de la répression sanglante de la Commune de Bakou en 1918. En 1941 il est mandaté par les autorités turques pour négocier avec l’Allemagne nazie dans le cadre de la création de la Légion Turkestan au sein de l’armée allemande. Enver Pacha, ministre de la Guerre Jeune-Turc, est l’un des trois principaux commanditaires du génocide. L’homme aussi qui a entrainé l’Empire ottoman dans la Première Guerre mondiale. Erdogan clôture son discours par ces mots : « Aujourd’hui est un jour béni pour tous les peuples turcs du monde entier ».

En Artsakh, la guerre ne porte pas sur un prétendu différend territorial : elle est la continuation du processus génocidaire contre les Arméniens et les chrétiens. Le soir même, l’Union européenne adoptait des sanctions à minima (quasi ridicules) contre la Turquie, bien moins importantes que celles souhaitées par la France et la Grèce.

À quoi ce sont livrés les Azéris et leurs supplétifs islamistes, soutenus par la Turquie d’Erdogan, en Artsakh ? Massacres, pillages, spoliations, bombardement du patrimoine culturel, tortures, mutilations sexuelles, femmes enceintes éventrées, nez coupés, langues tranchées, décapitations, comme au temps des massacres hamidiens, du génocide de 1895, de Cilicie, Adana en 1909 et bien sûr de 1915… Pourquoi les Arméniens ne veulent-ils pas partir du Haut-Karabakh ? Parce qu’ils y sont chez eux !   

La troisième guerre du Haut-Karabagh (2023)

L'épuration ethnique se poursuit en 2023. Le 19 septembre 2023 l’Azerbaïdjan, en sus du blocus en cours depuis décembre 2022, agresse de nouveau militairement l’Artsakh, officiellement pour des raisons d’« antiterrorisme » avec le but de prendre le contrôle total de la république de l’Artsakh, déjà partiellement conquise à la suite de la guerre de 2020. Au terme de vingt-quatre heures de combats, les Arméniens, trop isolés, doivent déposer les armes. La république d’Artsakh décrète jeudi 28 septembre 2023 la dissolution « de toutes les institutions gouvernementales au 1er janvier 2024 », signant la fin de son existence.

En quelques jours, plus de 80% des 120.000 habitants officiels quittent leur foyer par peur des représailles en brûlant leurs effets personnels avant de s'engager dans la colonne des réfugiés. À la date du 28 septembre, le bilan est de 213 morts chez les Arméniens. L’Azerbaïdjan déclare de son côté 192 militaires et un civil, tués. Au 30 septembre 2023, l’Artsakh est presque entièrement désertée par ses habitants, avec plus de 100.000 réfugiés arrivés en Arménie.

Karabagh - Arménie, petit pays riche d'une culture plus que millénaire, mais sans gaz ni sans pétrole, et donc, dont tout le monde se fout....

Je ne veux pas de ce gaz azerbaïdjanais, je ne veux pas me chauffer au prix de l'épuration ethnique et du génocide qui n'en finit pas, terre rouge de l'Arménie de Daniel Varoujan, dont le sang coule et coule encore et toujours.. Je suis citoyen de la République du Karabagh depuis 1991 et j'entends le demeurer... Jean Jaures, Pierre Quillard, où êtes vous dans ce pays de France  ?

Pourquoi ce silence, cette lâcheté de l'Union Européenne et de la France vis-a-vis de l'Artsakh et demain vis-a-vis de l'Armenie ?

Entre 2021 et 2022 les livraisons de gaz de la dictature azerbaïdjanaise vers l’Europe ont bondi de 30%. Via le gazoduc reliant les rives de la mer Caspienne à l’Italie en passant par la Turquie. Les 27 sont les "champions des droits de l'homme" pour la seule Ukraine, ignoblement agressée depuis le 24 février 2022 par l'ignoble Poutine, qui est tout aussi ignoble et lâche dans la question arménienne.

Mais, dans cette Ukraine martyre, l'UE évite soigneusement d'emprunter a Kyïv l'Avenue Bandera, et contourne a Lviv l'immense monument élevé à ce boucher sur le lieu même de ses crimes contre l'humanité. Plus que les "droits de l'homme", l'UE incarne le cynisme et les "droits des 27 faux-culs", qui sont aujourd’hui les premiers clients de la dictature panturquiste de Bakou.

Au Karabagh (l'Artsakh, en arménien, depuis 2017) comme en Arménie, il n'y a aucun Bandera, mais un peuple qui garde dans sa chair le fait d'avoir été le premier peuple du XXe siecle, victime d'un genocide, 1.200.000 personnes, en 1915. Un génocide, non reconnu par le responsable, la Turquie, et qui continue... un génocide reconnu officiellement par bien peu de pays, en fait...

La chef de file néo-libérale de l'UE, Ursula von der Leyen est allée à Bakou signer un protocole d’accord en juillet 2022. L’Azerbaïdjan lui a promis, quel lâche soulagement, de doubler ses livraisons d’ici 2027 : fournir 20 milliards de mètres cubes de gaz, soit 5% de la consommation actuelle de l’UE.

Je ne veux pas de ce gaz azerbaïdjanais, je ne veux pas me chauffer au prix de la terre rouge de l'Arménie, dont le sang n'a que trop coulé...

C’est avec ces revenus gaziers que le régime fasciste de Ilham Aliev achète les armes employées contre les Arméniens. En dopant ses importations de gaz azeri, les 27 complices de l'UE ont financé cette guerre pour faire couler le sang des Arméniens et les faire expulser de l'Artsakh, qui est leur terre.

Plus que mal, j’ai honte du silence coupable de la France et de l’Europe…

Christophe DAUPHIN

(in revue Les Hommes sans Epaules).

Illustration : Nous sommes nos montagnes (en arménien Մենք ենք մեր սարերը) est une sculpture monumentale située sur une butte, à un km au nord-est de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh. Lorsque les représentants soviétiques de Bakou sont venus à Stépanakert pour l’inauguration, en 1968, ils demandèrent : « Ces personnages n'ont-ils pas de jambes ? » L'artiste a répondu : « Mais si, et, elles sont profondément enracinées dans leur terre. » La sculpture représente les bustes de deux paysans, Papik et Dadik (« grand-père » et « grand-mère »), aux coiffes traditionnelles massives. Ce monument est le symbole de la république auto-proclamée du Haut-Karabagh, union de ses habitants avec leurs montagnes.


[2] Le nom d’Artsakh fait référence à la dixième province du royaume d'Arménie (190 av. J.-C. – 428 ap. J.-C.).

[3] L’armée (20.000 hommes) a pour but de défendre les valeurs de l’islam dans le Caucase, en y appliquant les lois islamiques par le biais du Califat ottoman et de combattre les Arméniens et les Russes, c’est-à-dire : les Chrétiens. Dans son optique panturquiste Enver pacha et son armée se présentent comme les libérateurs des populations musulmanes d’Azerbaïdjan, d’Abkhazie et de Tchétchénie. L’Armée islamique du Caucase meurt peu de temps après son chef Enver Pacha, tué par un bataillon arménien de l’Armée rouge, le 4 août 1922.

[4] Rappelons que la Turquie, c’est 80 millions d’habitants, l’Azerbadjain, 8 millions, et de l’autre seulement 4 millions d’Arméniens et un petit pan de terre arménienne peuplé de 140.000 habitants.

[5] Les Loups Gris sont une émanation du Parti d’action nationaliste (MHP), panturquiste, raciste et xénophobe, créé en 1969 par le « guide suprême » Alparslan Türkes. Ce dernier fut surnommé par les agents de la Gestapo (la Turquie a signé, en juin 1941, un traité d’amitié avec l’Allemagne nazie. Mais, lorsque cette dernière est proche de la défaite, la Turquie stoppe ses relations commerciales en avril 1944, rompt ses relations en août et lui déclare la guerre par opportunisme, en février 1945) : le « Führer du panturquisme ». Toujours actif de nos jours, le MHP et ses Loups Gris sont les alliés de l’AKP d’Erdogan.

[6] L’Azerbaïdjan, terre chiite musulmane des rives de la Caspienne, pays turcophone riche en hydrocarbures, est sous le contrôle d’une seule famille depuis 1993. Heydar Aliev, un ancien général du KGB soviétique, a dirigé le pays d’une main de fer jusqu’à octobre 2003, passant la main à son fils Ilham, quelques semaines avant de mourir. Comme son père, Ilham Aliev n’a laissé émerger aucune opposition. En 2017, il a fait de sa femme Mehriban la première vice-présidente du pays.

[7]L’Arménie, pays chrétien depuis le IVe siècle, a connu une histoire tumultueuse depuis son indépendance en 1991. Cet État pauvre et enclavé a connu son lot de révoltes et répressions meurtrières, ainsi que des scrutins très contestés, sur fond de dérives clientélistes et autoritaires par ses différents dirigeants. Au printemps 2018, une révolution pacifique a porté au pouvoir l’actuel Premier ministre Nikol Pachinian. Ce dernier conduit des réformes largement saluées pour démocratiser les institutions et déraciner la corruption.

[8] Le Nakhitchevan est une province de l’Arménie historique, fondée en 190 av. J.-C. par Artaxias 1er. Les traités soviéto-turcs de Moscou (16 mars 1921) et de Kars (21 octobre 1921) placent le Nakhitchevan, enclavé dans l’Arménie, sous la protection de l’Azerbaïdjan. Cela est entériné lors de la création de la République autonome du Nakhitchevan, en 1924. Réduits de plus de 50% à 15 % de la population en 1926, les derniers Arméniens fuient à la fin des années 1980, lors de la crise du Haut-Karabakh, tandis que les traces de leur ancienne présence sont systématiquement effacées : des milliers de khatchkars du cimetière médiéval de Djoulfa sont détruites en décembre 2005.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : LA POESIE ET LES ASSISES DU FEU : Pierre Boujut et La Tour de Feu n° 51